Demain ou le siècle prochain

La pluie datait d’hier soir. Les fleurs de ce matin. Tout du moins, je l’imaginais. Je me rendais compte du mensonge que j’énonçais, mais j’aimais les licences poétiques. Je mesurais chacun de mes pas, pour m’assurer que je n’écrasais pas plus de pétales que nécessaire. L’extérieur de mes chaussures et le bas de mon pantalon perlaient de rosée. Dans une heure, je pourrais gratter leurs surfaces pour me servir un verre d’eau. La température commençait déjà à monter. L’horloge n’affichait pas huit heures du matin que nous dépassions les vingt degrés. La météo en annonçait trente pour aujourd’hui. On s’éloignait des records pour un premier mai, même à plus de mille mètres. La moitié de la planète était inhospitalière. La deuxième partie exhibait une surcharge pondérale d’humains, mais les hauteurs demeuraient des contrées sauvages.

Lors de la construction du réseau de transport express européen, il aurait été aisé de connecter les plateaux de montagne avec le reste des nations. Toutefois, selon les politiques, le nombre de Jurassiens n’était pas assez élevé pour justifier une telle dépense. Les résidents des cimes avaient été laissés pour compte. Il ne se passait plus rien dans ces régions. Elles étaient éloignées de tout et le demeuraient en se maintenant à l’écart. Les touristes ne s’y pressaient plus, incapables de pratiquer des sports d’hiver et peu convaincus par des congés estivaux, malgré les températures plus clémentes en altitude.

Une chose en entraîna une autre. Les vacanciers ne furent pas les seuls à bouder ces aires géographiques. Élire domicile à une heure de transport de la gare à hypertrains la plus proche ne faisait rêver que les ermites ou les travailleurs à distance. Ces derniers étaient bannis de ces régions. La faible population n’attirait aucun investisseur pour déployer une connexion rapide aux réseaux numériques. Le bas taux d’âmes au kilomètre carré coupait de tout financement et empêchait, donc, toute expansion d’habitation. Un cercle vicieux ou vertueux s’il en était. Quelques excentriques, au regard des résidents de la plaine, s’étaient bien installés en altitude, mais ils restaient minoritaires et incompris. Nous demeurions les abandonnés de la modernité. Si nos politiciens, dans l’ensemble, maugréaient à propos de cet état de fait, lorsque les réseaux d’informations leur tendaient un microphone, personne, en haut, n’aurait su s’ils jouaient une partition préétablie ou s’ils étaient réellement chagrinés.

Les dernières poches de forêts, plus ou moins sauvages, se dénichaient là-haut. Nos terres ne convenaient pas pour l’agriculture, exagérément pentues, pas assez fertiles, avec une rentabilité trop basse, en comparaison des fermes hydroponiques, et trop éloignées des consommateurs. Qu’ils viennent voir mon jardin potager. Il ne se trouvait pas de magasin plus proche et les fraises, les ananas ou les dattes qu’il produisait faisaient ployer stolons ou branches.

Les sylves, tout comme les humains, étaient laissées à leur bon plaisir. Il existait bien quelques arboriculteurs qui élaguaient de-ci de-là, selon leur jargon, mais la législation en place n’autorisait aucune déforestation. Les panneaux solaires tournaient à plein régime et qui désirait encore se chauffer ? L’énergie dégagée servait, avant tout, aux climatiseurs. Seuls les bois nobles, qui mettraient plusieurs décennies à croître, auraient pu avoir une quelconque utilité. Les alentours des villes étaient abandonnés à eux-mêmes. Les murs de ronces protégeaient l’entrée des bocages, pour ceux qui ne possédaient pas la clé du pont-levis. Pour les autres, il s’agissait d’un terrain de jeu sans fin.

La chaleur commençait à se répandre. La mousse gardait un peu d’humidité, mais cela ne durerait pas. Je me penchai, respirai, sans la toucher les corolles d’une fleur. Je souris et vis un chemin s’éclaircir devant mes pas. Dans une petite heure, je réactiverais mon ordinateur de poche. Encore quelques merveilles à découvrir. Les abeilles bourdonnaient à en créer des courants d’air. Le biome resplendissait, plus sauvage que jamais. Un millier de mètres plus bas, une famille laissait la moitié de son salaire dans un cinquante mètres carré. L’humain moderne souhaitait vivre avec ses congénères. Il voulait se trouver à moins d’une heure de transport des grandes capitales. Pendant ce temps, en haut, nous regardions les nuages passer, les fleurs pousser et la nature se prélasser.
Qu’aurions-nous pu désirer de plus ?

Hagiodendros existe en version papier. Un livre d’art de 1.7 kilos qui bloque les portes, cale les tables et fournit des heures d’émerveillements sans fin.

Pour obtenir votre exemplaire envoyez un courriel à l’éditeur.

Prix : 60 CHF / 57 € (frais de port compris)

Textes
© Julien Chatillon-Fauchez

Ilustrations
© Marion Jiranek